Histoire de cheval à lire et à écouter gratuitement, sans inscription : Houdini, l'incompris
Histoire audio chevaux à partir de 10 ans
Avertissement : cette histoire traite des difficultés liées aux attentes trop exigeantes d'une cavalière débutante : les peurs du cheval, le cheval est délaissé dans le début de l'histoire, donc c'est triste au début. Petit à petit les choses vont s'améliorer....
Quand l'histoire sera terminée, je la mets en un seul lien
Première partie
C’était une belle journée ensoleillée aujourd’hui. Je le sentais, j’humais l’air et y retrouvais l’odeur chaude de l’herbe d’été. Moi, j’étais au box ce matin. Je m’ennuyais un peu, je fouillais la paille de la pointe de mon sabot, comme si j’espérais trouver un trésor, comme un morceau de pomme par exemple, caché sous mon fourrage.
Au fond, je savais qu’il n’y avait aucune chance ...
D’abord, parce que ma paille avait été changée le matin même. C’était agréable, elle était toute craquante sous mes sabots. J’avais profité de sa fraîcheur pour en manger quelques brins, mais c’était tout de même moins bon que le tas de foin qu’on m’avait envoyé par-dessus ma porte.
Ensuite, parce que si j’avais la chance d’avoir un morceau de pomme, il n’y avait aucun risque pour que j’en perde un morceau dans ma paille : un objet si précieux ne se perd pas, il s’engloutit ! Parfois, la jeune fille rousse, encore devant mon box avec ses feuilles de papier ce matin, m’en offrait une, puis partait très vite plus loin. Elle sentait un peu la peur. Je faisais peur à tout le monde de toute façon…
Je tapais du sabot contre le sol en béton, après avoir un peu écarté ma litière. Je voulais qu’on m’entende ! Clop ! Clop ! Je m’ennuyais à mourir. Pourquoi étais-je seul dans l’écurie une si belle journée ? Mes compagnons, mes voisins de box, Apache et Surprise étaient tous les deux dehors. J’avais espéré les suivre quand leurs propriétaires les avaient emmenés au pré. Mais non, moi je restais là, tout seul. Oh, je ne manquais de rien de matériel ! Tous les jours ou presque, les palefreniers changeaient mon box et m’apportaient à manger. Ils nettoyaient aussi mon abreuvoir automatique et vérifiaient son bon fonctionnement… Mais ça s’arrêtait là… Ils avaient énormément de travail dans les écuries, alors parfois, il m’arrivait de mettre quelques brins de paille dans mon abreuvoir volontairement, juste pour qu’ils restent un peu plus longtemps, le temps de le nettoyer…
Ma situation, je sais que l’équipe du manège en parlait beaucoup. J’avais un jour entendu la dame ronde dire que si on ne voulait pas s’occuper d’un cheval, on n’en achetait pas un, même si on avait trop de sous ! Je n’avais pas vraiment compris ce qu’elle voulait dire par là, mais je savais, au fond, qu’elle parlait de moi.
A un moment, je m’ennuyais un peu moins, mais je n’étais pas plus heureux : pendant quelques semaines, on m’avait fait participer aux leçons de manège. C’était si drôle, j’étais avec tous mes copains ! Mais ce n’était pas ma propriétaire qui me montait… C’étaient des inconnus. Ils arrivaient, me sellaient, toujours pressés, et à peine présentés, me montaient sur le dos. Certaines, parfois, étaient toutes tendres avec moi : elles prenaient le temps de me nettoyer et ne tiraient pas dans ma bouche. Mais même les meilleures cavalières perdaient un peu leurs moyens quand je me mettais à vouloir jouer avec Apache et Surprise, en sautant les quatre fers en l’air à travers toute la piste, trop heureux d’enfin pouvoir me défouler ! Ca faisait tellement de bien de se dérouiller un peu les jambes ! Mais ça ne plaisait pas à tous le monde… Une fois, Surprise m’a suivi, et elle s’est faite gronder par sa propriétaire, qui n’a pas su rester sur son dos… Elle était toute triste après, parce que sa propriétaire la boudait. Je m’en étais beaucoup voulu… Comment des gens peuvent-ils être si fâchés quand on veut juste s’amuser un peu ? …
Suite aux accidents répétés, on avait arrêté de me mettre en leçon. Au final, c’était sûrement mieux comme ça. Je ne voulais pas abîmer le beau lien que partageaient mes amis avec leurs petites cavalières… Ils avaient de la chance…
Auparavant, moi aussi j’avais une propriétaire. Elle était tellement gentille ! Elle avait de très longs crins bouclés, et un rire qui résonnait dans toute l’écurie. Je me souviens encore de quand elle est venue me choisir dans l’écurie où je suis né, pour m’adopter : elle a eu un vrai coup de foudre ! J’avais de la chance à l’époque… Son papa était avec elle, il avait dit « c’est celui-là que tu veux ma chérie ? Il n’est pas un peu … Peu conventionnel ? ». Mais la petite fille était tombée amoureuse de mes beaux yeux, et elle lui avait répondu « Mais papa, ses taches noires font son charme ! On dirait des flocons noirs sur sa robe blanche ! Comme Joey, le dalmatien du centre ! Allez, on le prend, je l’appellerai Houdini, comme le magicien, parce que c’est magique d’avoir un poney ! ». Et j’étais rentré avec eux jusqu’à ma nouvelle maison. A l’époque je ne connaissais pas Joey, mais maintenant je le vois tous les jours : c’est un grand chien qui a le même poil que moi. C’est amusant. C’est un peu comme un jumeau d’une autre espèce.
J’étais donc, il y a trois ans déjà, arrivé au centre, dans mon nouveau box, que j’aimais à l’époque mais qu’aujourd’hui, je déteste, à force de le voir tous les jours. J’ai même grignoté le dessus de ma porte en bois quand je m’ennuyais.
Ca a beaucoup énervé la dame ronde du manège. Mais le papa de ma propriétaire est venu un jour, a regardé ça, et le lendemain ma porte était changée, pour une avec des montants en fer. J’avais regardé ces aménagements avec attention ce jour-là, attaché dans l’allée de l’écurie. Il n’y avait jamais eu autant d’attention autour de mon box que le seul jour où je n’étais pas dedans…
Enfin, au début, je ne grignotais pas ma porte, vous savez. Au début, j’étais heureux. Mes premières semaines ici étaient très belles : ma propriétaire passait beaucoup de temps avec moi. Elle me disait toujours « tu auras bientôt l’âge d’être monté ! On va devenir des champions ! ». Je ne comprenais pas trop ce que ça voulait dire à l’époque, mais j’étais d’accord, si ça pouvait rendre heureuse ma Camille. Mais, un jour, ma Camille a voulu monter sur mon dos. Je n’avais pas compris ! Ca ne m’était jamais arrivé à l’époque ! Je n’ai jamais eu aussi peur ! On était dans l’allée de l’écurie, elle a mis sa boîte de pansage à côté de moi, et a lourdement sauté sur mon dos. Moi… Et bien aujourd’hui, avec le recul, je n’en suis pas fier mais… J’ai cabré. J’ai cassé ma corde, et ça m’a déséquilibré. Je suis tombé en arrière.
J’ai tout de suite eu très peur pour Camille… Je l’ai vue par terre. Elle pleurait. La dame ronde est arrivée en courant. Camille avait l’air d’avoir très mal. C’est là que mes problèmes ont commencé. Ce jour-là, j’ai entendu Camille, ma Camille, qui avait toujours été toute tendre avec moi, geindre que j’étais « une sale bête »… Ca me fait encore mal d’y repenser. Vous savez, nous les chevaux, on comprend tout… Je m’en veux énormément de l’avoir fait tomber, je ne voulais pas lui faire mal, mais j’ai eu si peur… Je ne voulais pas être une « sale bête »…
La dame ronde avait été de mon côté, contrairement à ce que Camille attendait. Ma petite propriétaire s’est faite disputer très fort, aussitôt relevée. Si moi, Camille m’avait traité de sale bête, elle, elle s’est faite appeler « inconsciente ». La dame ronde lui a dit qu’on n’achetait pas un poulain comme on achète un nounours, juste parce qu’on le trouve mignon. Elle lui a dit que tout poulain avait besoin d’être débourré, et que ce n’était pas quelque chose dont une petite fille pouvait s’ occuper, et certainement pas en mettant son poney en danger comme ça. Elle a ajouté qu’elle avait beaucoup de chance d’être encore en un seul morceau, que l’équitation, mal encadrée surtout, pouvait mener à des accidents extrêmement graves qu’on payait le reste de sa vie. Ensuite, elle l’a accusée d’avoir « traumatisé un poulain tout neuf », et je crois qu’elle parlait de moi.
Camille avait été très fâchée et ses larmes dévalaient comme des torrents sur ses joues… Je la comprenais, je savais désormais comme ça faisait mal de se faire disputer…
J’avais voulu tendre le nez vers elle. Camille a crié de terreur, comme si elle avait peur de moi. La dame ronde avait attrapé ma longe fermement. Moi, je ne comprenais plus rien. La dame ronde continuait de disputer ma petite propriétaire. Je sais qu’elle prenait ma défense, mais je n’aimais pas voir ma Camille triste… Je sentais sa peur, et me sentais très coupable.
Après ça, j’avais cru ne plus jamais revoir Camille. Par contre, j’ai rapidement revu son papa. Il était avec une madame, une petite madame que j’avais déjà aperçue dans les écuries. Elle était bien connue par les occupants des boxes : elle avait déjà monté tout le monde. Quand un cavalier était absent quelques semaines, ou quand un cheval se montrait récalcitrant, elle apparaissait. Mes compagnons d’écurie m’avaient raconté qu’elle était une main de fer dans un gant de velours. Elle ne se fâchait jamais. Elle était très douce quand on était sage, et parfois, quand on faisait les fous, elle nous recadrait fermement mais sans violence. On m’avait dit que se faire monter par elle, c’était extrêmement agréable.
Moi, je ne voulais plus jamais qu’on vienne sur mon dos. Jamais. J’avais sans cesse l’image de ma petite Camille au sol, en train de pleurer. J’étais une « sale bête »… Je ne méritais pas qu’on me monte, et ça me faisait bien trop peur.
Quand j’ai rencontré cette petite dame, qui s’appelait Elodie, j’ai commencé une nouvelle vie. La première fois, elle m’a juste tourné en longe. Elle m’a fait travailler mes allures. J’avais peur au début : j’ai rué, beaucoup. Je voulais qu’elle sache que je ne voulais pas qu’on me monte sur le dos. C’était trop effrayant. Mais au fur et à mesure de la séance, des séances même, j’ai compris qu’elle ne me brusquerait pas. Au début, on a juste travaillé au bout de la longe. Je prenais plaisir à embellir mes allures, parce qu’elle me félicitait quand je faisais de beaux mouvements, et j’aimais beaucoup qu’on me félicite. Le mors n’avait jamais été un problème pour moi, et je le mâchonnais parfois, en fin de séance, quand Elodie me laissait marcher tranquillement.
Le papa de ma propriétaire, que je n’avais toujours pas revue, avait assisté à une de ces séances un jour. Ma gentille Elodie s’était faite rabrouée ! Il lui avait dit « je ne vous paye pas pour lui faire faire de petits tours ! ». Mais, Elodie était une femme forte et sûre d’elle. Elle lui avait répondu que si j’avais fait des petits tours avant qu’on me monte dessus et pas après, personne ne serait jamais tombé et il faudrait moins de temps pour passer d’une étape à l’autre.
Le jour où elle m’a mis un tapis sur le dos, j’ai eu très peur. Ca a été une transition difficile. Mais Elodie ne perdait jamais sa patience. Et au fil des jours, des semaines, j’ai appris à accepter le tapis, la selle ensuite, et même les étriers qui sautaient contre mes flancs pendant que je trottais – bien que cette dernière étape avait pris vraiment beaucoup de temps.
Un jour, Elodie avait voulu monter sur mon dos. Même avec sa grande expérience, elle s’était faite accompagner ce jour-là de la dame ronde. D’abord en sac à patates, puis assise sur ma selle, j’avais continué de tourner en longe. Elodie m’avait petit à petit appris tout ce que j’avais besoin de savoir pour devenir un cheval comme les autres de l’écurie. Bien sûr, parfois, je voyais des fantômes, comme on dit. D’un coup, je me souvenais de mes anciens traumatismes et je prenais peur ! Ou bien, parfois, mon surplus d’énergie devait sortir… Mais je progressais, jour après jour.
Un jour, le papa de Camille est revenu. Il a vu mon Elodie me monter. Il lui a dit « c’est bon, il est débourré ? ». Elodie a discuté longtemps avec lui ce jour-là, perchée sur le haut de mon dos. Elle lui a parlé de prudence, de jeune cheval, de cavalière peu expérimentée… Le papa n’a pas semblé entendre grand-chose à tout ça, il lui a dit que sa fille avait pris des cours entre temps. Mais peu importe : le lendemain, je revoyais pour la première fois Camille.
Quand je l’ai revue, je n’ai pas réentendu son rire de nos débuts. Elle fronçait très fort les sourcils. Elle avait toute une tenue comme celle d’Elodie : un casque, qu’elle appelait bombe, un gilet de protection, des bottes. Elle avait même un long stick en main.
Ce jour-là, Elodie n’était pas là, mais la dame ronde, si. C’est elle qui m’a pansé et sellé en grommelant je-ne-sais-quoi. C’est elle aussi qui m’a emmené en piste intérieure. Ma Camille était avec nous, et c’est seulement dans la piste qu’elle m’a approché. Je n’ai eu aucune caresse, alors que j’espérais tant qu’elle me montre un peu d’affection… Elodie m’avait appris à croire à nouveau en la gentillesse de l’humain, en sa tendresse. Mais ce jour-là, je ne retrouvais pas la tendresse de Camille. Elle avait l’air très déterminée, mais elle sentait très fort la peur. Ca m’angoissait beaucoup. Je ne voulais pas être une « sale bête », je voulais lui montrer mes beaux progrès.
Camille a mis un pied à l’étrier. Je me suis senti me tendre. Les enjeux étaient grands et je sentais qu’elle ne me faisait pas confiance. Je sentais le regard de la dame ronde et du papa de Camille. Aujourd’hui, je savais sans qu’on me le dise que c’était une épreuve importante. La tension était palpable.
Je crois que la dame ronde a senti que je n’allais pas bien, comme je le sentais pour Camille, parce qu’elle a fait quelques blagues comme pour détendre l’atmosphère. Mais, le moins qu’on puisse dire, c’est que Camille n’était pas d’humeur à rire, et quant à son papa… Eh bien, ce monsieur toujours en costard avait semblé totalement imperméable à l’humour.
J’avais si peur. Mes oreilles tournaient dans tous les sens. Je voulais bien faire. La dame ronde dit à Elodie « très bien, il est jeune, pense à être bien claire mais douce dans tes demandes ! Mets-le au pas et rejoins les bords de la piste. Laissez-vous le temps de vous détendre au pas.
Et là, je n’ai pas compris. J’ai reçu un énorme coup de talon dans les flancs. Jamais Elodie ne m’avait fait ça ! Elle avait toujours utilisé la pression de ses mollets et son poids pour m’indiquer ce que je devais faire, et n’utilisait ses talons qu’avec légèreté si je faisais une bêtise, sans jamais faire mal.
Devant cette énorme demande, j’ai démarré au grand trot, pensant bien faire : si on me donnait un si gros coup, c’est que je devais me dépêcher ! Camille a senti encore plus la peur, et a tiré si fort dans mon mors que mon mors m’a fait très mal, pour la première fois ! Heureusement, c’était un gros mors rond avec du caoutchouc, je n’ose pas imaginer ce que j’aurais ressenti si ça avait été un petit mors tout fin en métal... J’ai pilé, j’ai lancé ma tête en arrière pour que la douleur s’arrête. Mauvais calcul. Mon brusque arrêt avait fait basculer Camille vers l’avant, et elle percuta ma tête quand mon encolure se redressa. Et une nouvelle fois, elle tomba par terre dans un gros boum… J’avais pourtant bien fait tout ce qu’elle me demandait, cette fois…
Camille a de nouveau pleuré. Moi, je suis allé me réfugier à l’autre bout de la piste, tout apeuré et honteux…
C’était la dernière fois que j’ai vu Camille.
Après ça, Elodie est venue me voir et me consoler. Elle est gentille, Elodie. Elle est même remontée sur mon dos un jour, tout doucement. Elle m’a dit « je ne vais pas te laisser sur une si mauvaise expérience ! ». Il n’y a pas que les cavaliers qui doivent se remettre en selle après une mauvaise expérience… Mais ce jour-là, le papa de Camille a surgi de nulle part et a disputé très fort Elodie. Il l’a traitée d’incompétente ! Il a attrapé mes rênes et Elodie a dû descendre de mon dos. Elle n’est plus jamais venue me voir, ou alors juste en passant rapidement devant mon box le soir. Je crois que le méchant monsieur lui a interdit de m’approcher.
Et depuis, j’attends dans ce box. Peut-être qu’un jour Camille reviendra me donner ma chance ?
En tout cas, aujourd’hui encore, il faisait si beau, et j’étais à l’intérieur, bloqué dans mon box. C’était rare que je sorte, il n’y avait que la dame ronde qui venait parfois me voir et me sortir pour que je puisse au moins un peu bouger et un peu manger d’herbe. Mais je sortais beaucoup moins que tous mes compagnons d’écurie qui partaient faire des balades interminables dans la nature avec leurs cavalières…
« Hou… Houdini ? »
Je fus pris d’un sursaut. Quelqu’un à ma porte de box ! C’était la petite rousse qui passait tant de temps dans l’allée de l’écurie avec son bloc de papier. Elle m’apportait un petit quartier de pomme, comme un petit rayon de soleil dans mon box.
« Tu préfèrerais sûrement être dehors… Mais en tout cas, moi, je reste là. Il fait trop chaud aujourd’hui, le soleil reflète trop fort sur mes feuilles blanches pour que j’aille dessiner les chevaux dehors… »
Dessiner ? J’aperçus sur ses feuilles une bien jolie illustration. Etait-ce possible que ce soit moi ? En tout cas, le cheval représenté était parsemé de tâches noires, comme moi.
J’aimais bien cette petite. Elle m’apportait des pommes. Mais elle ne me sortait jamais. Je ne l’avais d’ailleurs jamais vu toucher le moindre poney. Elle n’était pas comme toutes les petites qui couraient dans l’allée et qui se mettaient en selle.
Je l’ai un peu poussée du bout des lèvres, pour essayer de trouver où elle cachait ses pommes. Elle a reculé avec un petit rire nerveux. Dommage, j’avais bien envie d’un peu plus de pomme.
« Au revoir Houdini ! »
Et la petite partit. Je restais seul, à m’ennuyer dans mon box.
Deuxième partie
Je me tournais, me retournais entre mes quatre cloisons quand Surprise rentra.
« Où vas-tu ? » lui demandais-je avec curiosité.
Où qu’elle aille, j’aurais aimé pouvoir y aller avec elle. Mes compagnons d’écurie semblaient avoir le monde à portée de sabot.
« J’ai leçon », répondit-elle.
Je vis sa petite cavalière l’apprêter : Surprise avait passé tout l’après-midi au pré. Il s’agissait désormais d’enlever toute la terre qu’il y avait dans ses poils suite à ses roulades. Heureusement pour sa propriétaire, Surprise était alezane, et les tâches d’herbe ne tenaient pas sur sa couleur… Pas comme sur la mienne… Les rares fois où j’allais au pré, je gardais pendant des jours d’immondes tâches un peu partout, alors que mes camarades, même aux robes similaires à la mienne, se faisaient panser immédiatement et retrouvaient leur blancheur éclatante.
J’ai tapé du sabot contre la porte de mon box. J’aurais aimé qu’on s’occupe de moi aussi. Mes sabots étaient dégoûtants.
« Stop, Houdini, ça suffit ! » finit par me lancer Angélique, la petite cavalière de Surprise, avec une grosse voix.
Je me terrais dans le fond de mon box. On ne m’écoutait jamais quand j’essayais d’exprimer que j’avais besoin d’attention. Mieux valait alors se faire tout petit. Avant, j’insistais, mais maintenant, j’étais fatigué de toujours réclamer sans rien obtenir.
Le soleil baissait dehors. Mes compagnons d’écurie ne devraient pas tarder à être rentrés pour la plupart, afin d’être là le lendemain matin pour les leçons.
Angélique resserra la sangle de Surprise une dernière fois et vérifia que le mors était correctement en place. Sa bombe enfoncée sur la tête, elle la fit sortir de l’écurie et l’enfourcha pour descendre avec elle jusqu’à la piste intérieure, où avaient lieu les leçons quand la lumière extérieure n’était pas bonne.
« A tout à l’heure, Houdini ! » me lança Surprise dans un petit hennissement avant de partir.
Je la vis s’éloigner. Alors qu’elle partait elle fut croisée par un immense cheval alezan revenant du pré, Carton, tenu en longe par mon Elodie. Mon cœur se serra un peu en souvenir de toute l’attention qu’elle me donnait avant. Elodie ferma Carton dans son box. Ce n’était pas un grand bavard, lui. Il ne me salua pas, mais je ne m’en vexais pas. Nous les chevaux ne sommes pas si pointilleux que les humains sur les politesses.
« Coucou Houdini, ça a été ta journée ? »
C’était Elodie, qui venait prendre de mes nouvelles ! Je frappais du sabot sur le sol et secouais la tête pour exprimer mon contentement. Je n’aurais rien pu faire d’autre, dans un si petit box.
Elle flatta mon encolure par-dessus la porte.
« J’essaierai de te faire sortir un moment demain, si le beau temps se poursuit… »
Je sentais qu’elle compatissait à ma situation, elle. Ses visites étaient pour moi une bouffée d’air frais. Mais … C’aurait été mentir de dire que c’était suffisant.
« Tu sais quoi ? Viens. »
Elle ouvrit mon box, et je reculais jusqu’à cogner le mur avec ma queue. Cela me surprenait toujours un peu, quand on ouvrait ma prison. Elle m’enfila le licol que Carton portait un instant plus tôt, et le maintint fermement par son montant.
« Tu vas te dérouiller un peu pendant que je m’occupe de rentrer les autres. C’est un secret entre nous, d’accord ? Mr Raudechile serait furieux que je fasse fi de ses colères. ».
Juste à côté des écuries, il y avait une seconde piste intérieure, plus petite que la première. Elle était utilisée pour les cours des tout petits humains. Si tard dans la journée, elle était vide.
Elodie ouvrit la lourde porte métallique dans un grincement interminable. Moi, je caracolais sur place, trop heureux de voir le monde depuis un autre point de vue que mon box. Une journée entière dans 9m², c’est très difficile, moralement. Je sentais mes muscles me tirer douloureusement après une journée d’immobilité. Je n’en avais que faire, je voulais pouvoir me sentir libre, comme j’aurais aimé pouvoir vraiment l’être. J’aurais voulu pouvoir m’élancer au galop dans des chemin de terre, comme Apache et Surprise quand lui et elle partaient en balade.
Cependant, ce soir, je me contenterais de la piste, où Elodie me lâcha enfin. Je partis en ruades, et elle disparu après avoir refermé la porte derrière elle. Je me roulais dans la piste, trop heureux de sentir les grains de sable me chatouiller le dos. Je n’étais pas souvent brossé, et me rouler m’apportait une grande satisfaction, comme un massage.
J’entendis un grincement court. Était-ce déjà la fin de ma minute de paradis ?
Je me redressais, et me secouais en regardant qui pointait le bout de son nez. Un nuage de sable s’envola autour de moi. Ce n’était pas Elodie. C’était la petite rousse aux morceaux de pomme. Elle entra, et resta collée au mur. Je savais qu’elle ne viendrait pas me chercher pour m’arracher à mon bonheur : jamais je ne l’avais vu tenir un cheval.
Je m’élançais, continuant ma folle débandade. J’aperçus du coin de l’œil les yeux de la jeune fille s’illuminer, comme si elle voulait faire dans sa tête les dessins de toutes mes prouesses. Je lui offrais mon plus beau spectacle.
Mais rapidement, j’eus à m’arrêter et marchais un peu. Je commençais à avoir chaud, et à transpirer. Je n’avais plus la condition physique qu’Elodie m’avait forgée, des mois auparavant. Mon cœur battait fort, et j’expirais bruyamment par mes naseaux, marchant l’encolure étendue vers l’avant, basse. Quand mes sabots se détachaient du sol, le sable qui y était resté accroché, glissait de mes pieds sales. Par contre, celui caché entre mes poils restait fermement à sa nouvelle place, par plaques qui me chatouillaient.
Fatigué mais pas dépourvu de curiosité, j’ai approché de la petite fille aux cheveux couleur carotte. Elle se colla au mur. Je m’arrêtais. Elle sentait la peur. Y avait-il un danger ? Je me redressais, aux aguets pour chercher ce qui la tracassait tellement. Je ne trouvais rien. Peut-être le danger était-il au-dehors.
Rassuré, je tendis l’encolure vers elle. Elle approcha une main un peu tremblante de mon nez après un moment d’hésitation. Elle le frôla, et j’éternuais. Elle sursauta et je fis un bond en arrière. Après un moment d’immobilité totale, que ce soit de son côté ou du mien, elle éclata de rire. Je soufflais bruyamment. Son rire me rappelait celui de Camille. Enfin, celui que Camille avait quand elle était gentille avec moi. Ca me faisait du bien d’entendre ça.
« Oh, Valentine. Tu es là. Ca a été avec Houdini ? Il ne t’a pas fait peur ? Il avait vraiment besoin de se dégourdir les jambes. »
« Il a été gentil. Pourquoi est-il toujours au box ? »
« Houdini a un passé un peu particulier. Il faudra que je te raconte, un jour, mais ne dis pas que c’est moi qui te l’ai dit. Mr Raudechile serait en colère que je dise un mot plus haut que l’autre à propos de sa fille ou de lui… »
« Il faudrait que quelqu’un s’occupe de lui. »
Elodie acquiesça. Elle saisit mon licol, et le triste temps de retourner au box fut arrivé. Valentine suivit le rythme de mes sabots qui claquaient contre le goudron jusqu’à l’écurie, sans qu’elle et Elodie n’aie le moindre mot à s’échanger.
Heureusement, mes camarades d’écurie étaient rentrés pour la plupart, à part Surprise qui était toujours en leçon. La solitude, ce n’est vraiment pas gai. Les humains semblent mieux la supporter que nous, mais peut-être est-ce que nous ne nous rendons pas assez bien compte de la leur, tout comme certains d’entre eux ignorent la nôtre parfois.
« Je dois donner les rations. Tu peux m’aider et donner la sienne à Houdini, Valentine ? Tu verras, ce n’est pas compliqué. Tu peux lui donner une mesure de grains »
Ainsi, Valentine alla chercher ma ration, dans une mesurette blanche. Elle la remplit bien jusqu’au bord et approcha de mon box. Je tendis le nez pour essayer d’accéder à mon repas, mais Valentine ne s’approcha pas, figée. J’avais beau m’écraser contre ma porte et tendre le plus fort possible mon encolure, mon bien était inatteignable, sa détentrice ne cessant de reculer pour rester hors de ma portée.
Elodie arriva pour l’aider. La jeune femme rousse ne semblait pas rassurée à l’idée d’entrer dans mon box.
« Tu as peur ? Ne le laisse pas réclamer comme ça. Il va finir par se faire mal tout seul. »
« C’est petit un box… Sa mangeoire est contre le mur du fond… »
« Ah oui, on ne peut pas dire que l’organisation des box de cette allée est la plus efficace… Attends, je vais t’apprendre, viens, suis-moi. »
J’observais en ronflant Elodie ouvrir ma porte, suivie de Valentine qui se tapissait derrière elle. L’odeur du grain m’attirait beaucoup plus que celle de la peur de Valentine, que je choisis d’ignorer. Elodie n’avait jamais été si lente pour me donner mon repas ! Je me maintins calme, fermement cadré par Elodie qui n’était pas d’accord de se laisser pousser. Elle prenait le temps d’expliquer des choses à sa cadette apeurée. Finalement, ce fut Valentine, qui, appliquant en tremblant tous les conseils qui lui avaient été prodigués, versa mon repas dans ma mangeoire, que je m’empressais d’engloutir pendant que les chevaux autour de moi exprimaient leur impatience en ronflant et en tapant dans la porte de leur box.
« Pas mal, mais n’hésite pas à t’imposer. Ils ne veulent pas mal faire, mais si tu te fais toute petite, c’est une invitation à te faire marcher dessus ! Les chevaux, c’est comme les humains, il faut savoir mettre des limites pour mieux s’entendre après. La différence, c’est que les chevaux, eux, ils t’écouteront ! » plaisanta Elodie dans un rire que Valentine ne sembla pas comprendre.
« Désolée, je ne veux pas vous mettre en retard… »
« Oh fais-moi plaisir, tutoie-moi ! Il n’y a aucune raison que je sois la seule à le faire. Et pour le retard, tu n’as qu’à m’aider dans l’autre allée de box. On ira plus vite à deux, et tu verras, là-bas, on a accès aux mangeoires depuis l’extérieur ».
Je ne les entendis pas partir, trop occupé à racler les bords de ma mangeoire. Avec leur départ, une fois tout le monde nourri, le calme revint dans l’écurie.
PARTIE 3
PARTIE 3
Les jours se suivaient et se ressemblaient : les stages d’été avaient commencé, et chaque jour, des petits et petites cavaliers et cavalières se hâtaient dans les allées. J’observais tout ça d’un œil éteint. Je savais que je ne ferai pas partie des chanceux à être montés. Remarque, peut-être n’était-ce pas plus mal. Carton m’avait confié, une fois, que les petits cavaliers tiraient parfois fort dans la bouche. Je n’avais connu cette expérience qu’une seule fois, mais je n’avais aucune envie de la revivre.
Cependant, j’aimais cette agitation qui régnait dans l’écurie, bien que je ne puisse qu’en être spectateur et pas acteur. Les éclats de voix des enfants animaient mes journées. J’espérais aller en pré cette semaine : il faisait magnifique dehors, et ça faisait longtemps que je n’avais plus pu goûter à l’herbe fraîche d’un pré.
Les chevaux sortaient et revenaient au rythme des heures de leçon. Certains allaient en piste, d’autres sur le cross, d’autres en balade. Le soir, je pouvais écouter les histoires merveilleuses de mes congénères débordant de liberté, et laisser mon esprit s’échapper de mon box grâce à leurs mots.
Et plus les cavaliers allaient et venaient, plus le sol de l’allée se retrouvait jonché de tapis abandonnés, de selles oubliées. Certains laissaient même le licol sur la tête de leur cheval. Ca, ça rendait Apache fou, quand ça lui arrivait. Il pouvait comprendre que sa propriétaire soit fatiguée après autant d’exercice, mais il l’était aussi, et ce licol le grattait. Il pouvait passer des heures entières à frotter sa tête contre sa jambe avant ! Et il pestait alors encore plus : Apache avait un ladre sur le bout du nez, très sensible au soleil. Se frotter ainsi la tête irritait encore davantage ses coups de soleil.
Tous les soirs, la dame ronde et Elodie s’activaient pour enlever les licols restants et remettre l’écurie en ordre, alors que la nuit était déjà tombée. En général, la petite artiste Valentine arrivait quand les écuries commençaient à se vider, et partait avant que les écuries ne soient remises en ordre. Parfois cependant, elle était encore là quand Elodie et la dame ronde, prénommée « Véro », de ce que j’avais pu entendre, s’activaient à remettre le désordre en place. Dans ces cas-là, elle aussi mettait la main à la pâte. Aussi longtemps qu’il ne s’agissait pas d’approcher les chevaux de trop près, Valentine semblait toujours partante.
« Ces cuirs sont beaucoup trop secs. Il faudra apprendre à nos stagiaires à les graisser. Ils en ont besoin, sinon ils vont craquer. » observa un soir Véro, en rangeant la selle de Carton.
Ce soir-là, Valentine n’était pas là.
« On a beaucoup de chevaux pour peu de mains ! Si tu veux leur faire nettoyer un box ou l’autre cette semaine, jeudi par exemple, ce ne sera pas de refus ! » suggéra Elodie.
Elodie frappa sur un des tapis plein de poils qui avait été abandonné au sol dans la journée alors qu’elle était juste devant mon box. J’éternuais bruyamment quand les poils me montèrent aux naseaux.
« On aurait moins de chevaux à s’occuper si les propriétaires s’occupaient tous convenablement des leurs… » grommela Véro en me jetant un regard perçant. Avais-je fait une bêtise ?
Elodie sembla pensive un instant. Plongée dans sa réflexion, elle m’offrit une gratouille sur le chanfrein.
« On pourrait peut-être trouver une cavalière pour parrainer Houdini… Il est complètement laissé à l’abandon. Tiens, d’ailleurs, il faudrait que je le mette un peu au pré, demain. Ca lui fera du bien, il devient mou comme tout. En plus il est vraiment pouilleux comme ça, il va finir brun avec toute cette crasse ».
« En parrainage ? Qui paierait pour lui, toutes les cavalières se dégonflent. Puis il faudrait l’accord de son propriétaire, et il semble avoir complètement oublié qu’il a un cheval. Enfin, tant que je reçois l’argent tous les mois, il est le bienvenu. Je te dirais bien de continuer son dressage mais bon, si tu te fais prendre ça ne va pas aller. Je n’ai pas envie qu’il nous colle un procès sur le dos avec tous ses avocats, monsieur plein-de-fric. »
Toute mon attention était tournée vers les deux femmes. Je sentais qu’on parlait de moi. J’aurais aimé comprendre tout ce qu’elles se disaient. Les humains étaient pleins de mystère. Elodie se saisit d’un balai pour nettoyer l’allée, et un silence s’installa momentanément.
« En tout cas, j’aimerais arrêter de le voir aussi négligé. Même si personne ne veut payer pour lui, il y aurait bien quelqu’un qui pourrait s’en occuper gratuitement je pense », affirma Elodie, brisant le silence.
« Ah, qui ? »
« Je dois vérifier d’abord. Ca ne sera pas chose facile, mais je pense que ça peut marcher ».
« Tu fais des cachotteries maintenant ? » dit Véro, mi-ronchonne ; mi-sourire.
Elodie lui décocha un grand sourire.
« Affirmatif, chef ! ».
Elle rangea son balai, et les deux femmes sortirent dans l’allée suivante.
C’est le lendemain que je pus revoir l’herbe verte de mon pré pour la première fois depuis bien trop longtemps à mon goût. J’étais dans une écurie presque vide quand Elodie vint me chercher : la plupart de mes camarades étaient en leçon. Les stages mobilisaient beaucoup de poneys à la fois.
La petite rousse était là à dessiner, comme tous les jours. Aujourd’hui, j’étais celui qu’elle animait sous ses coups de crayons, sans doute parce que le choix n’était pas très vaste : ma crasse ne faisait pas de moi un modèle très attirant, je m’en doutais. Mais me rouler dans ma litière sale n’arrangeait rien.
« Encore là, Valentine ? Tu sembles bien aimer faire d’Houdini ton modèle. »
Valentine fut tirée de sa rêverie et se releva de la botte de paille sur laquelle elle s’était installée comme si elle avait été prise sur le fait en train de faire une bêtise.
« Elodie ! Oh, il est toujours là. C’est facile pour moi. Quand je dessine un autre cheval, ça a tendance à déranger son propriétaire, quand il ne peut pas me prendre mon dessin… »
Elodie ouvrit ma porte et je compris que mon moment était venu : j’allais profiter du soleil !
« Je vais le mettre au pré, si ça ne te dérange pas trop. Ca lui fera du bien. Tu peux prendre une des chaises en plastique de la petite piste, comme ça tu pourras continuer de le dessiner. Mais attends-toi à ce qu’il lui faille un petit moment avant d’être immobile ! » rit Elodie.
Valentine hocha la tête sagement. Elle recula d’un pas alors que Valentine me sortait, me tenant au bout de la longe.
« Tu restes jusque quelle heure aujourd’hui Valentine ? »
« Sans doute jusque tard. J’ai des tartines pour ce soir. Si je vais dessiner dehors, je ne partirais pas quand les cavaliers rentreront leurs chevaux. »
« Tu n’es pas trop du genre à te faire des copains, hein ? »
Valentine croisa les bras, visiblement vexée. Elle nous suivit, moi et Elodie, jusqu’au pré. Je me fis un peu réprimander quand Elodie dû ouvrir les fils électriques du pré, parce que je la poussais. Je corrigeais aussitôt mon attitude. Je ne voulais pas l’embêter alors qu’elle faisait tellement pour moi.
Elle ferma la clôture derrière nous, commentant tout ce qu’elle faisait comme si elle voulait l’apprendre à Valentine.
« Je ferme, je fais attention à ce qu’Houdini fasse face à la clôture. Comme ça, quand je lui rendrai sa liberté, il ne risque pas de me blesser dans son élan. … Regarde, ça va être très beau. »
Elle détacha ma corde et se glissa entre les fils pour sortir pendant que je me retournais pour faire face au pré. Je partis dans le plus grand galop dont j’étais capable, ronflant. Mes sabots envoyaient des mottes de terre derrière moi pendant que je ruais de bonheur. Quel plaisir tout cet espace, rien que pour moi ! Je m’arrêtais et me roulais. J’allais être plein de terre, mais cela valait toujours mieux que le crottin malodorant de mon box. Pour une fois, en plus de simplement entendre le chant des oiseaux, je pouvais les voir voler au-dessus de moi.
Je me remis sur mes quatre sabots et me secouais, laissant la poussière faire un énorme nuage autour de moi. J’avais définitivement laissé le blanc de ma robe aux oubliettes !
Je revins au grand trot vers Elodie, qui m’appelait. J’espérais qu’elle ne voudrait pas me rentrer… Si c’était le cas, on verrait bien si elle saurait m’attraper ! Mais quand j’arrivais, elle se contenta de me tendre une petite poignée de grains, que j’engloutis.
« C’était beau hein ? Le voilà tout crasseux. Je le rentrerai vers 19H, sois là Valentine, j’aurais besoin d’un coup de main. Un si beau spectacle a son prix ! »
Valentine hocha la tête sans trop sembler comprendre. Elle ne disait jamais non quand Elodie et Véro lui demandaient de l’aide.
Les deux femmes s’en allèrent, et seule Valentine revint un peu plus tard, armée d’une chaise en plastique, et de son bloc-note habituel.
J’eus toute la journée pour profiter du soleil, de sa chaleur, et du goût de l’herbe sous mes dents. Ce soir, moi aussi, j’aurais des choses à raconter à mes compagnons d’écurie !
PARTIE 4
Ma journée au pré touchait à sa fin : j’avais été le seul cheval du pré toute la journée, étant donné les stages auxquels participaient les autres montures. C’était moins amusant, tout seul, mais au moins, je ne manquais pas de place. Ma seule compagnie, mais qui avait été fidèle tout au long de la journée, était Valentine. Elle n’avait pas cessé de crayonner ou de rêvasser en me regardant. Quand elle avait englouti ses tartines en fin d’après-midi, elle m’avait offert un petit morceau de sa pomme. Je préférais quand ses pommes m’étaient destinées à moi plutôt qu’à elle, car alors j’avais droit à de gros quartiers. Mais bon, aujourd’hui j’avais eu tout un pré rempli d’herbe riche du printemps, donc je ne m’en formalisais pas.
Comme je m’y attendais, le retour d’Elodie était annonciateur de mon retour en box : ce soir ça ne me dérangeait pas. J’avais pu suffisamment me dégourdir dans la journée. Je savais qu’après être rentré en box, l’heure de ma ration du soir ne tarderait pas.
« Ah parfait Valentine, tu es là. Tu vas me suivre, je vais te montrer comment rattraper Houdini, et tu apprendras à tenir un cheval en longe. Tu verras, on est en fin de journée, il sera plus calme au retour au box que sur le trajet vers le pré de ce matin ! »
Valentine se figea. Les choses devaient prendre beaucoup d’ampleur d’un coup à ses yeux. Mais elle hocha finalement la tête d’un air décidé.
Elodie ouvrit mon pré et le referma quand Valentine y fut entrée également. J’étais content de la voir ! Elle m’offrit une poignée de grain de sa main gauche, tout en m’enfilant le licol de l’autre main. Elle le fixa, flatta mon encolure, et accrocha sa longe.
« Gentil garçon… Tu te mets à la gauche de Houdini, tu n’as pas besoin de tirer sur sa longe, il va te suivre spontanément. Si tu dois l’arrêter, par contre, tu peux un peu tirer, mais pas brusquement ! Dès qu’il sentira il s’arrêtera. S’il te pousse, par contre, regarde. »
Elodie plaça son bassin devant mon épaule et la poussa vers l’arrière. Je reculais, me demandant à quel jeu elle jouait.
« Comme ça, il sera obligé de reculer et de s’arrêter dans son élan. Toujours rester ferme quand c’est nécessaire, mais jamais brusque ou violente, d’accord ? Le but c’est de faire respecter ton périmètre, pas de faire mal. Prends la longe, je reste près de toi ne t’en fais pas. Je vais t’ouvrir. »
Je sentis vite la différence entre Elodie et Valentine. Valentine était un peu plus loin de moi, tenait ma longe tout près de mon licol, en la serrant fort. C’était comme si elle cherchait à me contrôler davantage et sans grand succès. Elodie n’avait pas besoin de ça pour me contrôler. Elle savait mieux m’écouter et s’adapter à mon comportement. Je ne m’en formalisais pas : aussi longtemps qu’elle ne tirait pas sur ma longe, ça n’était pas un problème. Valentine prit une grande inspiration, visiblement très fière d’elle, et me raccompagna à l’écurie, Elodie surveillant ses gestes. Elle se passa de tout conseil.
Elodie reprit ma longe pour l’attacher à un des anneaux de l’allée : elle décrit à Valentine ses mouvements pour faire le nœud.
« C’est très bien ce que tu fais Valentine. Ce n’est qu’une question d’habitude, tu verras. Laisse-moi t’expliquer quelques détails supplémentaires, pour ta sécurité. »
Elodie passa un long moment à me tourner autour. Elle expliqua à Valentine comment caresser ma jambe pour passer derrière moi sans me surprendre. Elle lui présenta aussi toute une série de brosses, dont les élèves se servaient parfois pour préparer leurs chevaux. Valentine l’écouta avec attention, touchant chaque brosse pour se souvenir de la sensation tactile qu’elles procuraient et pouvoir les différencier sans douter.
« Tu peux le brosser comme je t’ai expliqué, je reste dans le coin. Tu seras tranquille, les cavaliers du stage sont rentrés chez eux à cette heure-ci. Je vais faire son box pendant ce temps-là, je reviendrai pour t’expliquer les sabots. »
J’étais si fier. Tous les chevaux de l’écurie, rentrés dans leur box à cette heure-ci, me voyaient me faire chouchouter à mon tour. Ils allaient être heureux pour moi. Bon, Valentine n’était pas très sûre de ses gestes. Mais plus les minutes passaient, plus elle souriait, et moins elle semblait nerveuse. Ca la rendait plus efficace. Le résultat esthétique sur ma robe était très discutable, mais je me sentais propre.
« Eh bien voilà, tu n’as pas si peur que ça » déclara Elodie en revenant auprès de nous.
« Quand on sait comment faire, on se sent plus en sécurité… J’ai retenu tes conseils. Puis au moins ici, c’est plus large qu’un box, il ne risque pas de m’écraser entre son sabot et une paroi… Mais bon, je ne peux pas dire que je me sens super à l’aise… »
Elle démêla un peu mieux ma crinière, pensive. Je ne me souvenais pas de la dernière fois où j’avais senti ma crinière fournie aussi légère, exempte de toute impureté.
« C’est bien d’avoir un peu peur, c’est quand tu n’auras plus du tout peur que tu seras en danger. Il faut toujours être prudente avec un cheval, ça reste un animal. »
Je sentis Valentine se tendre. Dommage. Elodie lui montra comment faire mes pieds tout propres, et Valentine se risqua à s’occuper d’un de mes antérieurs. Je me dressais bien droit. J’étais si fier. Je me sentais bien dans mes poils, les brosses m’avaient offert un massage bienvenu après une journée à galoper dans les prés. Et maintenant, je n’avais enfin plus aucun petit caillou coincé dans mes sabots. Je me sentais comme les autres : était-ce ça qu’ils ressentaient chaque jour ?
« Je te laisse le remettre au box », annonça Elodie, tout en s’éloignant.
« Attends, je fais comment ? »
Valentine n’eut pas de réponse à sa question et je sentis son anxiété revenir. Il lui fallut un moment ce soir-là pour réussir à défaire le nœud qui me maintenait attaché à l’anneau. Elle me mena dans mon box de façon un peu brouillonne, mais l’opération n’en fut pas moins une réussite. Je retrouvais avec plaisir une litière propre, qui allait accueillir mon repos bien mérité de cette nuit. Valentine resta accoudée à ma porte, avec un sourire plus large que je ne lui en avais jamais vu. Elle rayonnait, semblant très fière d’elle.
« J’ai fait tout ça toute seule… Enfin, avec toi ! Merci Houdini ».
Pour une fois, elle ne semblait pas tendue. Elle resta là, à me regarder dévorer ma ration, sans se départir de son sourire et l’air rêveur.
« Oh ! J’ai oublié mon bloc au pré ! Au revoir Houdini, bonne nuit ! »
Elle partit en courant. Je la vis un peu plus tard repasser devant l’écurie, son bloc de dessins à la main, en sautillant. Je n’étais pas le seul à avoir passé une excellente journée semblait-il.
« Tu es très beau ce soir ! Ca fait du bien de te voir comme ça, je suis contente pour toi », me confia Surprise dans un petit hennissement amical.
Je secouais la tête fièrement, faisant voler ma crinière toute propre. Pour une fois, je ne me sentais pas comme le paria de l’écurie. Je me sentais aussi beau et en santé que les autres chevaux.
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Marie Sombart
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