Histoire de cheval gratuite à écouter et à lire à partir de 11 ans : l'effroi
L’effroi.
par Bertrand
C’était une belle journée de fin d’été, dans le grand pré au bord de la forêt. Les mouches bourdonnaient, la chaleur était douce. Je broutais à pas lent. Goûtant parfois un peu de serpolet ou de menthe sauvage. Les passereaux piaillaient sur les barrières puis allaient se poser sur les branches du grand hêtre. J’aimais me frotter à son tronc quand les heures étaient trop chaudes pour aller sous le soleil. Madeleine ma petite propriétaire y déposait toujours un peu de foin quand elle m’emmenait pâturer dans ce pré. Elle veillait également à ce que la citerne d’eau soit suffisamment remplie pour que je ne manque de rien jusqu’au soir, puis elle venait me chercher pour que je passe la nuit à l’écurie.
Elle ouvrait la grande barrière et moi, tenu par la longe, je la suivais sur les 300 mètres qui nous séparaient de mon box.
Le pré était vaste, je pouvais m’y dégourdir les jambes et même faire quelques foulées de galop si l’envie m’en prenait. J’y rencontrais parfois quelques petits camarades. Les lapins qui se redressaient sur leurs pattes arrières, puis humaient l’air en retroussant leur nez afin de s‘assurer que Renard n’était pas dans les environs. Lui, je le voyais parfois le soir, quand Madeleine venait un peu tardivement me chercher et que le soleil commençait à se coucher. J’avais eu la chance un soir de croiser également la famille chevreuils qui était apparue à l’orée du bois, puis par un superbe bond, avait atterri dans mon pré pour brouter un peu d’herbe tendre. Cela ne me dérangeait pas, je les trouvais très sympathiques ces habitants de la forêt. Soudain, la chèvre avait humé l’air et redressé les oreilles puis, après un petit aboiement avait entraîné toute sa petite famille à l’abri des taillis. C’était Madeleine qui, venant me chercher, les avaient effrayés. Cela aurait pourtant bien plu à Madeleine de les regarder, si au moins ils n’avaient pas été si peureux. Moi j’étais heureux qu’elle arrive. Elle allait me parler de sa voix douce puis je savais que bientôt, elle me panserait et déposerait des grains dans l’auge de mon box.
Cet après-midi là, je profitais du bonheur du pré, goûtant un pissenlit puis un peu de luzerne, j’avais l’impression qu’il faisait plus chaud que d’ordinaire, l’air vibrait et les mouches semblaient vouloir se donner rendez-vous sur mon dos. J’avais beau donner de ci-de là un grand coup de queue, elles revenaient tout aussi vite se poser sur ma robe. Qu’est-ce qu’elles pouvaient m’agacer ! Aïe, l’une d’elles venait même de me piquer, je fis quelques pas de trot pour essayer de les semer, j’aimais sentir l’air glisser autour de moi, puis me remis à brouter en secouant les oreilles. Les mouches revenaient à la charge, comment allais-je m’en défaire ? Je refis quelques pas de trot vers mon vieux hêtre et constatait que les feuilles frémissaient, une brise se levait. Tant mieux, les mouches n’aimaient pas lutter contre les mouvements de l’air. L’ombre était douce, pourtant j’avais l’impression qu’il faisait de plus en plus chaud, quelques gouttes de transpiration glissaient sur mon pelage. Quelle sensation étrange, l’air me semblait plus lourd. Je redressai la tête, les oreilles pointues pour entendre les moindres sons qui pourraient m’informer sur cette situation qui m’était inconnue. J’étais un peu inquiet et fis quelques pas hors des branchages. Un bruit sourd au loin attira mon attention, je regardai et vis de lourds nuages sombres envahir le ciel d’été.
La brise s’intensifiait je repris un peu de trot en gardant la tête bien haute pour tenter d’apercevoir l’étrange origine de ce bruit sourd qui revenait irrégulièrement. Les rares mouches qui s’accrochaient à mon pelage se mirent à me piquer de plus en plus. Une petite ruade pour les faire partir puis je secouais ma crinière pour les chasser, mais elles revenaient tant et plus. Je me permis un petit galop afin de les empêcher de me rattraper. Les branches d’arbres de la forêt commençaient à se secouer, lorsqu’une première goutte de pluie tomba. Elles étaient chaudes et presque agréables. Maintenant j’étais assuré que les insectes ne me dérangeraient plus. J’étais à l’autre bout du pré. Levant la tête je vis les nuages noirs plus proches de moi, rouler et se bousculer entre eux, les grondements sourds se rapprochaient et des traits de lumières les traversaient brièvement. La pluie s’intensifia, je repartis au trot rapide me protéger sous mon vieil ami le hêtre. Madeleine n’allait pas tarder à venir me chercher. Il faisait de plus en plus sombre, la journée avait été très courte me sembla-t-il et Madeleine ne m’avait jamais laissé seul, la nuit, dans le pré proche de la forêt.
Je me sentais de plus en plus nerveux, la pluie redoublait, je poussais un premier hennissement afin d’appeler Madeleine. Je commençais à avoir un peu peur, je mangeais un peu de foin pour essayer de penser à autre chose, mais alors que je me baissais, le pré fut soudainement éclairé d’une lumière très forte. Je redressai la tête, les oreilles tendues, tournai la tête de droite à gauche, les yeux fixes. Un bruit effroyable traversa l’air, je sentis des vibrations tout le long de mon pelage. Que se passait-il ? Pourquoi Madeleine n’arrivait-elle pas ? Je hennis à nouveau plus fort et trépignais sur place. Un deuxième éclair cisailla le ciel, et dans les instants qui suivirent le bruit - plus fort – réapparu , roulant tel un battement de tambour démentiel. J’étais terrifié. Mes jambes se mirent malgré moi à trotter et je quittais mon abri, peut-être pourrais-je voir Madeleine arriver à l’autre bout du champ ?
Le vent hurlait à présent, les branches d’arbres s’entrechoquaient. Une lumière fulgurante accompagnée d’un tonnerre assourdissant, explosa dans l’air. Je sautais sur place et partis au grand galop : je ne pensais plus, j’étais terrorisé. La barrière surgit deux mètres devant moi. Plus moyen de m’arrêter, Je lançais mes jambes avant le plus haut possible et appuyais sur mes jambes arrières. Je fis un bond prodigieux comme je ne me pensais pas en être capable ; je basculais vers l’avant et senti mes sabots arrières toucher la barrière, je m’affaissais vers l’avant mais eus le réflexe d’appuyer de toutes mes forces sur mes jambes antérieures ; je bavais, les yeux exorbités, les oreilles vers l’arrière. Je paniquais. Désorienté, sans m’assurer que mon équilibre était rétabli, je partis dans un galop fantastique sur le chemin ….en direction de la Forêt.
Le vent sifflait dans les branches, mon galop résonnait dans mes oreilles malgré le sol boueux, mes jambes glissaient, je maintenais mon équilibre grâce à ma vitesse. Les troncs me semblaient bouger et les ombres de la forêt projetées par les éclairs me laissaient croire que les arbres essayaient de m’attraper avec leurs mains de branches se secouant en tous sens. Je galopais sans réfléchir.
Du bruit sur le côté, du coin de l’œil je crus apercevoir un monstre bondissant. Je me raisonnais : « mes amis les chevreuils sans doute », mais les foulées étaient trop lourdes pour être celles de mes gracieux compagnons. L’animal sortit en trombe des bois et s’arrêta sur le chemin, je freinais des quatre fers, pour ne pas emboutir la…licorne ! Un éclair zébra le ciel et éclaira l’étrange animal fantastique qui n’avait pas une corne au milieu du front mais bien deux superbes bois plantés sur la tête. L’animal meugla, je me cabrais en hennissant et me retournais, rebroussant chemin, mon galop redynamisé par le moteur de ma panique. Les yeux ronds, la bave aux lèvres l’encolure tendue…seule ma peur me guidait. Mes muscles me faisaient mal, j’avais soif mais la terreur m’empêchait de m’arrêter. Mon galop devenait de plus en plus lourd pourtant je devais fuir. Un nouvel éclair illumina le chemin.
Surpris je sautais par-dessus le fossé et me plongeai dans la forêt, les ronces tentaient d’agripper mes jambes, je ne pouvais plus que trotter de peur de me cogner aux arbres. J’étais perdu. Épuisé, j’avançais au pas et me trouvais arrêté par une barrière.
Quelle chance, mon pré ! Je savais ne plus être en mesure de réussir le saut prodigieux que j’avais effectué tout à l’heure. Mon ami, le bel hêtre était défiguré, une de ses branches maîtresse était sur le sol, carbonisée. La foudre l’avait brisé et avait provoqué ma panique. Le ciel semblait un peu s’éclaircir et je vis au bout du pré deux petites lumières s’agiter. Je hennissais, était-ce de peur ou d’épuisement ? Deux humains s’approchaient dégoulinant sous leurs cirés verts. Je hennis à nouveau et j’entendis Madeleine appeler : « Azur, où es-tu ? » Je hennis de plus belle, Madeleine était là, son papa l’accompagnait. J’étais sauvé. Le tonnerre avait beau gronder et la pluie pouvait bien être encore battante, je savais que Madeleine veillerait sur moi. « Oh, mon bel azur, je suis là », « Calme mon beau ». Elle escalada la barrière à quelques mètres de moi puis vint me trouver en marchant lentement tout en tendant la main. Elle glissa le licol autour de mon cou et longea prudemment la clôture veillant à ce que je ne puisse pas me blesser. Une fois revenu sous le chemin, son papa nous rejoint et nous repartîmes en trottant vers l’écurie, la pluie dégoulinait sur ma robe, mais Madeleine riait en parlant à son papa. Le tonnerre semblait s’éloigner.
Rentré à l’écurie, Madeleine me sécha et me pansa. Le calme revenait avec la lumière d’une fin d‘après-midi d’été. Je plongeais mon nez dans le fond de mon auge afin de goûter les bons grains. Mes jambes ne tremblaient plus. Un moineau vint se poser sur la cloison de mon box et se mis à piailler. Quelle aventure ! Quelle journée ! Que c’était bon de se savoir en sécurité auprès de Madeleine !
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